« Cher amis de la Méditerranée », Alexis Leproux, La Valette.

Chers amis de la Méditerranée,
La rencontre des peuples a fait de votre pays, depuis des milliers d’années, « un centre de vitalité et de culture, de spiritualité et de beauté, un carrefour qui a reçu et harmonisé les influences de nombreuses parties du monde ». (Pape François, Malte, 2 avril 2022) Vos îles sont le cœur battant de la Méditerranée, une terre d’hospitalité légendaire et un refuge pour ceux qui étaient sur le point d’être engloutis par la mer. Malte est pour tous, selon son étymologie phénicienne, un « port sûr ». Elle est le témoin vivant de ce que les êtres humains peuvent et doivent être pour leurs voisins : une main tendue, des bras ouverts pour consoler et guérir. « Les autres ne sont pas un virus dont il faut se protéger, mais des personnes à accepter », nous a rappelé le pape François à Malte le 2 avril 2022.
Merci de nous accueillir ainsi, avec ces jeunes venus des cinq rives, désireux de construire la paix par la recherche de la vérité et de la justice. Vous avez ouvert vos bras et partagé ce qui habite votre cœur.
Merci aux orateurs dont les paroles ont mis en lumière la force d’âme déployée pour la paix, en particulier dans le cœur des femmes.
Merci à ceux qui sont venus partager leur désir de paix. Comme nous le savons tous, la construction de la paix prend du temps. « C’est un effort patient pour rechercher la vérité et la justice, pour honorer la mémoire des victimes et pour ouvrir la voie, pas à pas, à une espérance partagée plus forte que le désir de vengeance. »(Pape François, Fratelli tutti § 226)
Merci au Père Jean-Claude Attard et à toute l’équipe organisatrice qui, avec vos évêques, a rendu possible cette rencontre méditerranéenne. Comme aime à le rappeler le cardinal Aveline, Dieu se fait connaître dans les rencontres qu’il suscite. Nous avons écouté, partagé, beaucoup appris. Nous avons mieux compris à quel point les femmes méditerranéennes, malgré les vents contraires, tiennent la barre et conduisent le processus visant à faire de la Méditerranée un nouveau berceau de civilisation.
Permettez-moi d’ajouter à ces remerciements un hommage et un appel.
Un hommage tout d’abord à plusieurs femmes.
Le 16 avril dernier, la photojournaliste Fatima Hassouna, âgée de 25 ans, a été tragiquement tuée lorsque les forces israéliennes ont bombardé sa maison à Gaza. Elle est devenue le symbole de l’engagement pour la vérité, le fondement le plus sûr de la paix. Son documentaire « Mets ton âme sur ta main et marche » est présenté au festival de Cannes en hommage à son travail héroïque sur la vie quotidienne des habitants de Gaza. Il n’y a pas de paix sans vérité.
Je veux aussi rendre hommage à Mariam, symbole du courage qu’il faut pour ouvrir la voie à un avenir meilleur pour ses enfants. Avec son mari et leurs quatre enfants âgés de 6 à 12 ans, elle a quitté la Libye en septembre 2021. Elle a expliqué à SOS Méditerranée que « le seul moyen de sauver ma famille et mes enfants était de prendre la mer. Je ne peux pas imaginer que mes enfants deviennent des miliciens ou des passeurs. (…) Je veux que mes enfants soient bien éduqués, qu’ils aient de l’empathie et qu’ils construisent une vie qui vaille la peine d’être vécue.
Il n’y a pas de paix sans courage.
Enfin, je voudrais évoquer la figure d’Hanna Assouline, fondatrice des Guerriers de la paix. Ce mouvement rassemble des femmes juives et musulmanes dans le but commun de promouvoir la paix, la justice et l’égalité. « La nomination qu’elles ont reçue pour le prix Nobel de la paix 2025 est un signal fort envoyé à tous ceux qui luttent pour la paix au-delà des frontières culturelles et religieuses. En tant qu’activistes, ces femmes nous rappellent le grand combat qui doit être mené, celui de défendre la vie humaine en faisant taire le bruit des armes et de la vengeance. Les responsables des guerres ne sont pas seulement ceux qui les déclenchent, mais aussi ceux qui, par indifférence, ne font pas tout pour les éviter. Il n’y a pas de paix sans lutte.
Ces femmes ne sont pas des exceptions. Elles sont des phares. Elles ouvrent une voie vers une Méditerranée plus juste, plus équitable, plus solidaire. Rappelez-vous l’adage : « Si vous voulez connaître le véritable niveau de civilisation d’un pays, analysez la situation des femmes dans ce pays ». Si nous voulons faire de la Méditerranée un berceau de civilisation et de prospérité, et non plus un champ de ruines et un cimetière, regardons la situation des femmes dans nos régions. Donnons-leur la parole et marchons avec et derrière elles. Elles sont nombreuses, malheureusement invisibles et inaudibles, à œuvrer inlassablement pour la paix.
Cela m’invite à lancer un appel, un triple appel, non seulement aux jeunes qui embarqueront lundi sur le Bel Espoir, mais aussi à chacun d’entre nous qui restons à terre. Car les obstacles sont encore nombreux et les femmes paient un lourd tribut à la guerre, à la crise climatique et à l’exil.
Il n’y a pas de paix sans sécurité pour les femmes. Il est temps de mettre fin à l’impunité et de renforcer la législation. La traite des êtres humains, et celle des femmes en particulier en Méditerranée, est intolérable. La lutte contre les violences faites aux femmes doit être une cause méditerranéenne soutenue par tous les Etats. Il faut éduquer les garçons, sensibiliser les hommes, pour faire de ce combat une responsabilité partagée par tous.
La construction de la paix commence par l’éducation et l’ouverture d’esprit. Une fille éduquée devient une femme libre. Et une femme libre, c’est une société qui va de l’avant. Nous devons renforcer l’accès des filles à l’éducation et soutenir la mobilité des étudiants et des chercheurs. L’accès des femmes aux plus hautes responsabilités doit être une priorité, que ce soit dans le domaine de la culture, de l’économie ou de la politique.
Enfin, peut-on raisonnablement rêver d’une Méditerranée de la paix sans la « révolution de la bonté » souhaitée par le pape François ? En ce jour où nous célébrons ses funérailles, nous sommes en communion avec le Collège des cardinaux, avec les catholiques du monde entier, mais aussi avec tous les peuples de la terre qui, d’une manière ou d’une autre, s’associent à notre deuil. Le pape François l’a rappelé comme un testament : « La paix naît donc des femmes, elle naît et se ravive de la tendresse des mères. Ainsi, le rêve de la paix devient une réalité lorsque nous nous tournons vers les femmes. » (8 mars 2019, discours devant une délégation de l’American Jewish Committee). La gentillesse, le sourire, l’affection et la proximité, sans doute inspirés par sa grand-mère, ont toujours été les caractéristiques fortes de sa mission. Pour ceux qui ont choisi de reposer à Santa Maria Maggiore, il est évident que « chaque fois que nous regardons Marie, nous croyons à nouveau à la nature révolutionnaire de l’amour et de la tendresse. En elle, nous voyons que l’humilité et la tendresse ne sont pas des vertus de faibles, mais de forts qui n’ont pas besoin de maltraiter les autres pour se sentir eux-mêmes importants ». (Evangelii Gaudium 288)
Je remercie Malte d’accueillir ce moment de réflexion et de construction de la paix. Le Bel Espoir, comme votre pays, veut être le témoin de l’hospitalité méditerranéenne. Puisse le navire naviguer, fort de sa rencontre avec Malte, avec cette intime conviction : « les femmes, en effet, avec leur capacité unique de compassion, leur intuitivité et leur inclination connaturelle à « prendre soin », sont capables, de manière exceptionnelle, d’être pour la société à la fois « l’intelligence et un cœur qui aime et unit », d’apporter l’amour là où l’amour manque, et l’humanité là où les êtres humains sont à la recherche de leur véritable identité. « (Pape François, 7 mars 2024)
Alexis Leproux, le 27 avril 2025, La Valette
Publié le 05 mai 2025